Bien loin de l’image de la célèbre espionne Mata Hari, les femmes, dans l’univers du renseignement, jouent un grand rôle. Qu’elles servent d’informatrices, d’alibis, qu’elles soient elles-mêmes en mission pour recueillir des informations dans le domaine de la défense ou de l’intelligence économique, les femmes font souvent baisser la garde de leur interlocuteur. Elles sont et ont toujours été une nécessité pour l’acquisition du renseignement humain.
« Aux services secrets, on participe par procuration à la vie de personnes étrangères, on lit des protocoles de mises sur écoute, des rapports rédigés par des détectives, des agents, et l’homo sapiens, la personne qui nous intéresse, nous apparaît tout à coup bien différente de celle que nous imaginions au départ. L’homme fidèle se révèle être un vulgaire libertin, le député du Parlement vit avec un dogue danois noir et l’orgueil de la nation fait de la contrebande durant son temps libre. Même après avoir passé peu de temps aux services secrets, on peut très vite rassembler des documents uniques en leur genre, car c’est véritablement dans un endroit comme celui-là que l’on peut se rendre compte que l’homme n’est ni tout blanc ni tout noir, qu’il est double et contradictoire, qu’il est aussi bien capable d’actions héroïques que de vulgaire bassesses. » C’est ainsi que Michael Ljubimov, écrivain et ancien agent du KGB à Londres, définissait le travail d’agent secret.
Ainsi, dans cet univers plutôt réservé aux hommes, quelle(s) place(s) réserve-t-on aux femmes ? Qu’apportent-elles dans les services de renseignements ? Sont-elles recrutées pour leur qualité de femme ? Les femmes espionnes reflètent-elles vraiment l’image que l’on s’en fait ? Qu’elles appartiennent aux forces de police, aux services de renseignements, qu’elles soient épouses, maîtresses, femmes de ménage… Les femmes jouent un rôle dans l’acquisition du renseignement dit humain. Un rôle parfois déterminant.
Le parfait alibi
Lorsqu’on demande à la Police nationale les chiffres sur la part des femmes dans un service comme la DCRI, par exemple, on nous rétorque : « Ces services-là ne donnent aucune information sur son personnel. Sinon, on pourrait savoir ce qu’ils font. Même entre eux ils ne se connaissent pas. Vous vous êtes attaquée à un trop gros poisson mademoiselle… » Pourtant, les femmes sont plus nombreuses dans ces services-là que dans ceux de la Police judiciaire, par exemple. En effet, à la DCRI, une personne sur huit environ est une femme, nous indique une fonctionnaire au ministère de l’Intérieur depuis 30 ans, qui a souhaité garder l’anonymat. Martine* connaît bien le milieu du renseignement. Elle insiste sur la nécessité d’avoir des femmes dans les équipes. « C’est vital d’avoir des femmes : elles passent inaperçues ! J’ai déjà filé un homme, en étant dans le même ascenseur, sans qu’il ne s’en aperçoive. On ne se méfie pas d’une femme. D’autre part, elles permettent de se faire passer pour un couple, avec un agent masculin, et c’est pareil : qui se méfie d’un couple ? Il peut être sur le même palier qu’un suspect, sans soulever le moindre doute. »
Au-delà du fait que les femmes dans les équipes de renseignement permettent d’éloigner les soupçons, elles sont aussi de remarquables sources d’informations, dans l’entourage des suspects. Femmes de ménage, épouse, maîtresse, mère… les langues de ses femmes satellites se délient souvent plus facilement au contact d’une autre femme. « Vous savez plus ce que fait un terroriste en faisant parler sa maîtresse, qu’en le faisant parler lui (et une maîtresse en sait souvent bien plus qu’une épouse…). Les épouses, les mères, les sœurs peuvent parler. » Ce n’est pas un hasard si les femmes dans l’entourage des suspects sont souvent écoutées avec attention.
« D’autre part, dans certains milieux musulmans par exemple, si vous êtes une femme, on va vous poser deux ou trois questions pour savoir qui vous êtes, mais on va très vite vous oublier ce qui vous permet de laisser traîner vos oreilles. C’est beaucoup plus difficile pour un homme d’infiltrer ce genre de milieu et de se faire oublier », continue Martine.
Lors des missions, les femmes sont cependant beaucoup plus protégées par leurs collègues masculins. Elles courent ainsi moins de risques, mais le revers de la médaille est qu’elles ont aussi moins de chance d’avancement dans leur carrière. « Un jour, j’enquêtais sur un proxénète et j’étais posée à un café. Un homme m’a regardée avec insistance pendant longtemps puis il est venu m’inviter à dîner. Nous étions à 99 % certains que c’était notre homme mais mes collègues n’ont pas voulu que j’accepte le dîner. »
MICE’tinguette
Catherine* travaille dans l’intelligence économique, depuis de nombreuses années, au sein du gouvernement. Pour nous aider à comprendre, elle pose quatre lettres sur la table : M.I.C.E. Cet acronyme utilisé par les services de renseignement, désigne les motivations des individus qui se livrent à l’espionnage : Money, Ideology, Coercicion (compromission) et Ego. « A votre avis, où une femme peut-elle jouer dans ce tableau ? »
Dans son livre Espionnes, histoires d’agents secrètes de la DGSE, de la CIA, du MI5, du KGB, du Mossad et de la Stasi, Wilhelm Dietl décrit ce qui représente pour lui, les qualités d’une femme agent secret : « Elles sont plus appliquées, s’adaptent plus facilement, sont plus capables et plus opiniâtres. Grâce à leur charme naturel, elles peuvent entrer plus facilement dans des milieux fermés et, si la situation l’exige, elles peuvent s’imposer en utilisant leur arme secrète, le sexe. Quand les femmes ont des convictions, elles y croient dur comme fer. Afin d’imposer leur avis politique, elles n’hésitent pas à se mettre en danger et à accepter les privations qu’un tel acte impose […]. Elles sont plus discrètes et plus réservées que les hommes. Dans des situations difficiles, elles désamorcent leur agressivité. »
Oscar Reil, un ancien lieutenant qui a travaillé pour le contre-espionnage de Whilhem Canaris, l’amiral d’Hitler, avant de passer douze ans au sein du service fédéral de renseignements, soulignait l’arme ultime des femmes en matière de contre-espionnage : « Le meilleur instinct féminin se montre d’ailleurs tout à fait approprié dès lors qu’il s’agit de contre-espionnage. Ainsi sont-elles capables de “sentir” les dangers imminents que dégagent parfois certaines personnes. Dans la plupart des cas, elles ont une intuition plus rapide. »
Pour certains, cependant, les femmes ne sont pas aussi « utiles » au renseignement et leur présence pourrait même desservir les missions. Richard Sorge, par exemple, ancien espion soviétique, soulignait : « Les femmes n’ont absolument pas le profil pour travailler dans l’espionnage. Les relations intimes débouchent trop souvent sur la jalousie et cela met en péril le travail. »
Le talon d’Achille de la diplomatie française
La plaie, dans la diplomatie française, est jeune, belle et souvent de nationalité chinoise. Les concubines chinoises ont investi les lits de nos diplomates, créant quelques scandales qu’on tente de ne pas trop ébruiter… Le journaliste Franck Renaud parle, dans son livre Les Diplomates de cette épidémie asiatique qui touche depuis des années les ambassades françaises. Interviewé en 2010 pour le site Aujourd’hui la Chine, il raconte ce que ses enquêtes ont révélé sur ce milieu et le rôle que certaines femmes ont joué : « Ces jeunes femmes s’intéressent d’abord aux agents qui ont accès soit aux visas, soit à des dossiers sensibles, liés à la défense nationale par exemple. Bien sûr, il peut y avoir de belles histoires d’amour ; mais dans le même temps on sait que les services de renseignements chinois emploient des méthodes très offensives pour collecter de l’information, influencer et que parmi ces méthodes ils utilisent les “pièges à miel”, c’est-à-dire des jeunes femmes prêtes à se dévouer à la cause… L’ambassade de France à Pékin s’est quand même distinguée en la matière : en 2000, c’est le représentant officiel des services secrets français en Chine, la DGSE, qui a été piégé par une interprète de l’ambassade et a fait défection ! »
Les Chinoises sont également bien connues dans l’univers de l’espionnage industriel : c’est le fameux cas des stagiaires chinoises, qui intègrent des entreprises étrangères et font régulièrement des rapports à leur propre gouvernement. Ici, elles sont au service de l’économie de leur pays. Le cas le plus connu est le dossier Valéo : l’histoire de Li li Whuang, une étudiante chinoise soupçonnée d’espionnage industriel et finalement condamnée pour abus de confiance.
À l’inverse, une espionne française nous raconte qu’être une femme dans les renseignements peut aider à récolter des informations : « Sur le plan technique, une femme n’est pas prise au sérieux. Les hommes, ne s’imaginant pas qu’elle puisse avoir des connaissances techniques, baissent leur garde. » Le côté femme naïve, impressionnée d’un rien, a de quoi satisfaire les égos masculins : « J’étais avec le numéro 2 de la partie industrielle d’une grande entreprise. Je l’ai fait picoler, quand lui pensait que c’était l’inverse. Je l’ai un peu embobiné et il m’a emmenée, pour m’impressionner, dans le laboratoire de la société, en me disant de “ne pas trop regarder”. J’ai vu un gros laser et j’ai joué la bécasse : “Oh c’est pour la chirurgie des yeux ?“ Il ne pensait sans doute pas que j’étais ingénieur… Il était juste content de me montrer qu’il avait le pouvoir de me faire rentrer ici. En fait, pour une femme, c’est assez facile de faire parler quelqu’un, il suffit de le mettre dans une situation flatteuse… »
Une autre fois, cette femme était dans une grande usine de titane, accompagnée d’un autre guide qui a détourné l’attention quelques minutes : « J’ai vu un gros tube, j’ai demandé à l’ouvrier ce que c’était. Il m’a répondu : “Roquette, roquette !“ J’ai donc compris qu’ils fabriquaient des missiles. Personne ne se méfie d’une femme dans ces moments-là. »